MÉMOIRE DU GENDARME KERMOAL
DE LA BRIGADE DE PERROS-GUIREC



Gendarmes héros et Martyrs de la Résistance.
Mémoire réalisé par Monsieur Michel Kermoal,
de la brigade de Gendarmerie de Perros-Guirec
réalisé dans les années 1990

l'opération de police du 4 juin 1944 dans le secteur de Perros-Guirec


Au début de l'année 1980
Le 19 Janvier, une dame de Perros-Guirec décède à Perros-Guirec. Il nous est signalé qu'un gendarme Hamon a servi à la brigade et qu'il est décédé au cours de la dernière guerre. Il s'avère que Madame Hamon est la veuve de ce gendarme.
Une plaque de marbre est érigée à l'entrée de la brigade de Gendarmerie de Perros-Guirec.
A Louannec au lieu dit Kernu un monument en granit rose est élevé à la mémoire des Martyrs de 1944.
Nous ne connaissons pas les circonstances des décès. L'historique de la brigade ne fait pas état de cette période de l'histoire, les dernières mentions y ont été inscrites en novembre 1936.
La décision est prise d'effectuer des recherches en vue de découvrir une personne en mesure de nous informer sur une période s'étendant de 1942 à 1945.
Monsieur Le Corre Yves demeurant à Perros-Guirec rue des Frères Le Montréer a été Gendarme à la brigade de Perros-Guirec de 1942 à 1957, il est en mesure de nous renseigner. Monsieur Le Corre est contacté, ce brave retraité très alerte malgré ses 78 ans se fait une joie de nous fournir tous les renseignements nécessaires.
Monsieur Le Corre Yves est né le 2 avril 1902 à Maël-Carhaix, il a été affecté à la brigade de Perros-Guirec en 1942, il y a servi jusqu'en 1957. Il a pris sa retraite à Perros-Guirec au numéro 62 de la rue des Frères Montréer.

1942 ...
La brigade de gendarmerie de Perros-Guirec se situe rue des Frères Montréer eu numéro 47. Il s'agit d'une importante bâtisse en granit. Le rez-de-chaussée est occupé par des bureaux et des logements, l'étage est également occupé par des logements, le tout est surmonté des combles.
Cette brigade est commandée par l'Adjudant Semelin, le 1er avril 1944, il est muté à la brigade de Morlaix en qualité d'adjudant-chef. L'adjudant Le Jeune est muté de cette dernière à celle de Perros-Guirec.
La section de Lannion est commandée par le lieutenant La Porterie. Le Maire de Perros-Guirec est Monsieur Yves Connan. Monsieur Connan a été Maire de Perros pendant les années 1941, 1942, 1943, pendant les années 1944 et 1945, les destinées de la commune sont entre les mains de Monsieur Laforest Julien.
Le Maire de Louannec est Monsieur Bourdelles Pierre, il a été élu le 19 Mai 1935, il exerce son mandat jusqu'au 9 Novembre 1944, date à laquelle les commissions préfectorales sont mises en place. Le 18 Mai 1945, Pierre Bourdelles est à nouveau élu Maire de Louannec, il l'est encore à nos jours.
Le Maire de Saint-Quay-Perros est Monsieur Yves Allain, celui de Kermaria-Sulard est Monsieur Paul Queffeulou.
La composition de la brigade en 1944 est la suivante : L'adjudant Le Jeune, commandant de brigade, Le Corre Yves, gendarme adjoint, Guezou, Hamon, Andrieux Gabriel, Masson et Pouliquen soit un effectif de sept militaires chargé de la surveillance de 9 communes : Perros-Guirec, Louannec, Saint-Quay-Perros, Kermaria-Sulard, Trévou-Tréguignec, Trélévern, Trégastel, Pleumeur-Bodou, Trébeurden.


Le matin du 4 juin 1944
C'est un dimanche de printemps comme les autres seule la présence de l'occupant ternit quelque peu l'optimisme de nos gendarmes.
Ce 4 juin 1944, l'effectif de la brigade est le suivant : l'adjudant Le Jeune, les gendarmes Le Corre Yves, Hamon, Andrieux Gabriel, Masson et Pouliquen. Le Jeune et Hamon sont au bureau, Guezou est hospitalisé à Rennes pour une opération de l'estomac. Masson et Pouliquen résident en ville. Les gendarmes Le Corre et Andrieux sont commandés pour effectuer une enquête pour vol à Trévou-Tréguignec, commune située à l'extrémité Est de la circonscription. Il s'agit d'un vol de 110000 francs commis dans une maison.
Tôt dans la matinée vers 7 h Le Corre et Andrieux partent vers Trévou en vélos. Ils empruntent la rue des Frères Montréer. Face à l'hôtel du Cheval Blanc à Perros-Guirec, un officier allemand les arrête, il explique que ses hommes effectuent une opération et qu'ils doivent attendre. Le Corre et Andrieux posent leurs bicyclettes contre le mur de l'hôtel et attendent. Les allemands procèdent à une rafle et arrêtent tous les passants.
L'officier allemand fait aligner tous les civils le long du trottoir, les gendarmes restent près de leurs vélos sans broncher. A un certain moment, un civil allemand, vraisemblablement officier des douanes parlant très bien le Français "mieux que moi" dira Le Corre, s'approche des gendarmes en leur disant "allons Messieurs de la police payez un peu d'exemple" en leur faisant signe de s'aligner comme les civils, ils s'exécutent.
Quelques temps plus tard, l'officier allemand qui arrêtait les passants s'avance vers Le Corre et Andrieux, il cite des noms de personnes de Perros-Guirec, ces gendarmes répondent qu'ils ne connaissent pas, prétendant qu'ils sont depuis peu à Perros et que le commissariat de police s'occupe plus de Perros-Ville que les gendarmes, en réponse l'officier lève le bras voulant frapper les gendarmes du revers de la main. En réalité les gens cités étaient connus des gendarmes, il s'agissait de Résistants et entre résistants on ne dénonce pas ... !
Subitement une camionnette bâchée arrive près de l'hôtel du Cheval Blanc. L'officier allemand fait rompre l'alignement et conduit tout le monde rue du sergent L'Hévéder, la camionnette est masquée à la vue des gendarmes et ils ne sauront pas ce que contenait ce véhicule. La camionnette est repartie et l'officier allemand a à nouveau fait aligner tout le monde près du trottoir face à l'hôtel. Pendant les arrestations momentanées de Le Corre et Andrieux Madame Le Corre, qui va à la messe, car nous sommes dimanche peut s'approcher de son mari, ce dernier peut lui dire d'aviser l'adjudant de la situation.
L'officier allemand fait la navette entre l'hôtel et la rue, à un certain moment Le Corre et Andrieux remarquent que l'officier ne sort pas de l'hôtel et y reste plus longtemps que les autres fois. Ils risquent le tout pour le tout, sautent sur leurs vélos et pédalent en direction de Trévou sans être inquiétés.
"C'est de cette façon que j'ai été sauvé", dira Le Corre.
L'hôtel du Cheval Blanc se situe à Perros-Guirec rue des Frères Le Montréer. Cet hôtel était le lieu de rassemblement des Résistants de Perros-Guirec. Les gendarmes étaient tous Résistants et travaillaient en étroite collaboration avec le maquis.
A l'intérieur de cet hôtel en cette matinée de juin des Perrosiens, qui ont été déportés par la suite, étaient interrogés et c'est vraisemblablement suite à ces interrogatoires que nos gendarmes ont été dénoncés et arrêtés, notamment l'adjudant Le Jeune et le gendarme Hamon. Au moment de l'arrestation momentanée de Le Corre et Andrieux, les allemands ne connaissaient pas leur appartenance à un réseau de Résistance.
Le Corre et Andrieux se sont rendus à Trévou-Tréguignec pour effectuer l'enquête sur le vol, qui ne sera pas solutionné. Au retour de Trévou vers 13 h, les deux gendarmes arrivent à Perros-Guirec, ils se dirigent vers la brigade en passant par Garet Bigordends ou chemin des bigorneaux. Ce chemin permet d'aborder la brigade par des rues peu fréquentées. Ils sont Résistants, ils ont faussé compagnie aux allemands, ils s'attendent au pire.
Arrivant à la brigade Le Corre et Andrieux découvrent dans la cour, toutes les femmes en pleurs, ils apprennent que l'adjudant Le Jeune et le gendarme Hamon ont été arrêtés par les allemands et emmenés pour une destination inconnue.
L'adjudant Le Jeune et le gendarme Hamon ainsi que quelques Perrosiens ont dans un premier temps été appréhendés puis transportés dans divers lieux de détention, notamment la maison d'arrêt de Rennes.
Le Corre étant l'adjoint au commandant de brigade et le seul responsable présent, il téléphone au commandant de section de Lannion afin de rendre compte de la situation. La standardiste de Perros répond qu'aucune communication ne peut être transmise de Perros-Guirec, ils ont découvert le lieu de réunion des Résistants le Cheval Blanc, les interrogatoires qui y ont été conduits ont permis bon nombre d'arrestations, l'occupant interdit toute communication avec l'extérieur.
Les gendarmes Le Corre et Andrieux réalisent soudainement dans quelle situation ils se trouvent, situation tragique, le commandant de brigade et le gendarme Hamon ont été ramassés par les allemands, eux mêmes ont failli être appréhendés, la brigade est désertée seules les femmes et les enfants pleurent dans la cour.
Le Corre et Andrieux partent se cacher dans un champ proche de la brigade, les allemands ayant demandés aux femmes restées à la caserne à quelle heure ils rentraient de service. Madame Andrieux a convenu d'un signal pour avertir s'il y avait danger. Le tablier sur la tête voulait dire de se cacher, si le tablier était enlevé le danger était passé.


Dans l'après midi du 4 juin 1944
Les allemands sont dans les bureaux de la brigade, Madame Andrieux est à sa fenêtre, elle a son tablier sur la tête. Le Corre et Andrieux n'ont point besoin d'explications, le danger est imminent. Les allemands les recherchent, ils sont gendarmes, Français, Bretons et patriotes, ils choisissent de servir la France dans la clandestinité, ils rejoignent le maquis.
Le Corre et Andrieux quittent le petit champ situé derrière la brigade, ils recherchent les maquisards qu'ils connaissent bien. Le repas du soir ils le prennent chez un ami de Kerangarou. Ils continuent leur route et rencontrent les patriotes à la ferme Hillion à Perros-Guirec. Il est à noter que les gendarmes Masson et Pouliquen qui habitaient hors caserne et qui étaient au courant des événements prennent également le maquis avec Le Corre et Andrieux.
Nos quatre gendarmes ont gagné le maquis, l'adjudant Le Jeune et le gendarme Hamon ont été ramassés, en ce 4 juin 1944, la brigade de Perros-Guirec est une brigade sans gendarmes, seuls les femmes et les enfants en proie à la crainte des représailles et à la douleur de la séparation (surtout Madames Le Jeune et Hamon) occupent la brigade avec tous les risques que cela comporte en cette période de guerre.
Les gendarmes Le Corre, Andrieux, Masson et Pouliquen suivent les maquisards, ils vont ensemble jusqu'à la ferme Kerbiriou près du village de Kervélégan. Dans cette ferme, il est décidé d'aller chercher des armes près du château d'eau de Perros-Guirec à Garhent Bigorneds. Le Corre est malade il a des coliques, il ne suit pas ses camarades et passe la nuit à la ferme Kerbiriou.

Le 5 juin 1944
Le Corre rejoint ses camarades au lieu-dit Coat-Gourhant en Louannec, ils vivent dans la campagne se nourrissent dans les fermes et dorment à la belle étoile, dans les foins et les champs de blé. Le Corre déclare avoir dormi dans une charge de trèfle s'en recouvrant totalement pour se dissimuler. Yves Le Corre, nous fait remarquer que l'action qui se déroule au mois de juin, il fait très beau, c'est le printemps, le soleil et la végétation en effervescence incitent à la rêverie ... hélas la guerre est là, l'occupant aussi.

Les 6 et 7 juin 1944
Nos gendarmes suivent les maquisards, les journées se déroulent sans trop de problèmes. La nuit du 7 au 8 Le Corre, Masson et Pouliquen dorment à la ferme de Yves Marie Saliou, adjoint au Maire de Louannec. Le 8 au matin, ils quittent cette ferme pour rejoindre le maquis de Coat-Gourhant. En cours de route aux abords du café situé à Pen-ar-Hoat, un homme qu'ils connaissent Yves Rémond, les avise que les allemands sont proches et qu'ils doivent pas rester sur la route. Nos trois gendarmes s'enfuient à travers champs, ils entendent derrière eux le crépitement des mitraillettes allemandes. Ils fuient en rejoignant Coat-Gourhant.
Le gendarme Le Corre conscient de son rôle d'adjoint responsable, recherche le renseignement et entretien le contact avec les épouses toujours présentes à la brigade. Chaque jour il rencontre Madame Hamon au café Bouille à Saint-Quay-Perros et il apprend qu'ils doivent quitter leurs camarades de maquis, les femmes et les enfants de la brigade étant au courant du lieu de leurs retraites.
Nanti de ces renseignements Le Corre se rend au maquis de Coat-Gourhant en disant à ses camarades qu'il fallait pas rester à cet endroit sous peine d'être découvert.
Il est à noter que dès le 5 juin 1944, le gendarme Andrieux avait choisi de rester en permanence avec les maquisards, la nuit comme le jour. Il était d'ailleurs leur chef. Le Corre, Masson et Pouliquen quittaient Coat-Gourhant pour la nuit, dormant à la belle étoile ou dans des fermes connues.
Gabriel Andrieux a été le chef de maquis de la compagnie Gabriel Péri. Les cartes postales éditées en 1969 à l'occasion du 25ème anniversaire de la libération portent au dos le texte suivant :
Le 9 juin 1944 (3 jours après le débarquement allié), 5 jours après la rafle meurtrière du 4 juin, ou elle a perdu son commandant de compagnie et plusieurs chefs de détachements, la compagnie Gabriel Péri, démontrant l'extraordinaire vitalité de la Résistance se bat à nouveau contre les troupes d'occupation, à Kernu en Louannec en plein mur de l'atlantique, malgré un armement insuffisant elle inflige des pertes à l'assaillant.
Trois hommes périssent au cours du combat, le gendarme Andrieux, chef du maquis, un enfant de Louannec : Yves Le Campion et un garçon de Saint-Brieuc : Chauvel. On ne retrouvera jamais la dépouille de François Potin emmené par les nazis et André Offret, capturé quelques jours plus tard, au cours d'une mission sera fusillé à Servel après d'atroces tortures.

Le 8 juin 1944
Le Corre tente de faire comprendre à Andrieux que la situation est critique et qu'il risque sa vie. Andrieux ne veut rien savoir, il prétend que le maquis est bien armé et que les allemands peuvent venir. Le Corre fait remarquer que ce n'est pas avec quelques pistolets qu''ils pourront lutter contre les allemands, comme dira Le Corre "Andrieux était buté, vraiment buté".
Nos trois gendarmes quittent le maquis de Coat-Gourhant y laissant Andrieux qui ne voulait rien entendre. Ils ne le reverront plus vivant.

Le 9 juin 1944
Le Corre, Masson et Pouliquen se trouvent dans la région de Kermaria-Sulard, ils mangent le repas de midi puis reprennent la route pour tenter de revenir sur Coat-Gourhant. Pour ce faire ils empruntent la voie ferrée. Arrivés à Mabiliès en Louannec, ils se rendent chez Jean Garrec, lui est en captivité, mais sa femme est dans la cour derrière la maison, elle fait des crêpes. Nos gendarmes mangent, Mme Garrec leur demande par où ils sont arrivés à Mabiliès, ils répondent qu'ils viennent de la direction de Penvenan, Madame Garrec précise que les allemands viennent de passer par la voie ferrée, mais en direction de Petit Camp en Louannec.
Le Corre et ses deux camarades se rendent compte que les allemands prennent la direction de Coat-Gourhant. Déjà dans la matinée des coups de feu sont été tirés du côté de ce lieu. Ils prennent la décision de quitter les alentours de Perros-Guirec et "ils prennent le large" comme dira Yves Le Corre.

Ce 9 juin 1944
Le Corre, Pouliquen et Masson quittent la région de Perros-Guirec, ils se rendent à Prat canton de La Roche Derrien chez un beau frère de Le Corre. Ils sont tous trois reçus par la suite dans trois fermes différentes. Ils restent à cet endroit les mois de juin et juillet 1944.
Ce 9 juin 1944 fût fatal au gendarme Andrieux et à quelques maquisards. Dans la matinée deux allemands passant à Louannec furent attaqués par les maquisards, l'un d'eux fût blessé ou tué. Cet acte de terrorisme eut pour effet de déclencher une attaque allemande. Dans l'après midi les allemands en grand nombre attaquent les maquisards. Certains de ceux-ci s'enfuient, d'autres sont tués ou blessés, comme le gendarme Andrieux qui ne put s'enfuir.
Un nommé Muller, qui était maître principal de l'aéro-navale a réussi à échapper au massacre, il s'est caché et il a assisté en spectateur impuissant à la fin courageuse et téméraire du gendarme Andrieux.
Au cours de l'attaque du camp de maquisard au lieu dit Le Guilors, à la limite des communes de Saint-Quay et Louannec, Andrieux a été blessé dans le dos, il ne peut s'échapper, un officier allemand du grade de commandant s'approche de lui, Andrieux à les mains en l'air, subitement il sort son pistolet de poche et loge une balle dans la tête de l'officier allemand, le tuant net, la balle est rentrée entre les deux yeux, brisant la monture des lunettes. Les allemands lancent immédiatement des grenades, Andrieux est tué par ces grenades. Mort héroïque, toute empreinte d'abnégation, mort d'un gendarme.


Après la Libération
A la fin de la guerre, après la libération de la côte bretonne, le cadavre d'Andrieux a été déterré de Servel et ramené à la brigade de Perros-Guirec, afin qu'il ai une sépulture décente. Le lieu d'inhumation temporaire des victimes du nazisme à Servel est marqué à jamais par un monument en granit sur lequel sont gravés les noms des patriotes qui ont payé de leurs vies la libération de leur chère patrie.
A quelques distances de ce monument toujours sur la commune de Servel un champ a été le théâtre de la fin tragique de nombreux résistants. Un grand panneau de bois blanc avec inscriptions noires est planté sur ce champ.
La guerre continue, Le Corre et Pouliquen courent la campagne. Masson a rejoint le maquis de Pestin-les-Grèves qu'il connaît bien. Le Corre prend contact régulièrement pour renseigner. La vie continue. La brigade de Perros-Guirec est restée sans gendarmes. Le Gall venant de Plestin-Les-Grèves, Capitaine et Philippe sont désignés pour servir la brigade.
Les gendarmes Le Corre et Pouliquen restent dans le maquis, ils attendent avec impatience que la Bretagne soit libérée de l'occupant. Cet heureux événement arrive le 10 Août 1944. Perros-Guirec est libéré, nos valeureux gendarmes quittent le maquis, ils regagnent la brigade de Perros-Guirec. Ils y retrouvent femmes et enfants. Cet heureux retour accentue la peine de Madame Le Jeune et de Madame Hamon sans nouvelle de leurs époux et de Madame Andrieux qui connaît le triste sort qu'a subi son mari.
Yves Le Corre et son camarade Pouliquen ont été absents 66 jours, ils ont eu la désagréable surprise de constater qu'ils étaient considérés comme des déserteurs et inscrits au Bulletin Criminel. Cette situation a eu pour effet de supprimer la solde des intéressés durant cette période. Suite aux nombreuses démarches effectuées, la situation pécuniaire de ces militaires s'est régularisée.
La vie reprend normalement à Perros-Guirec on est sans nouvelles de l'adjudant Le Jeune et du gendarme Hamon. Ils ont été déportés avec d'autres Perrosiens. En 1945, Monsieur Marrodon, le patron de l'hôtel Saint-Yves, rentre du camp de Neuengamme-Hamboug, il y était avec Le Jeune et Hamon, il a donc annoncé qu'ils étaient morts tous les deux, l'adjudant Le Jeune fin Février 1945, le gendarme Hamon dans les premiers jours de Mars 1945.
L'adjudant Le Jeune et le gendarme Hamon étaient comme tout le personnel de la brigade des Résistants. Ils ont lutté contre l'occupant avec les moyens dont ils disposaient. Ils ont été trahis comme leurs camarades, ils n'ont pas eu la chance d'échapper à l'ennemi et ils ont payé de leurs vies le fait de porter un uniforme en un mot d'être gendarmes. Il n'a pas été élevé à leurs mémoires de monuments pompeux, une simple plaque, sobre, trop sobre peut-être rappelle qui veut lever les yeux en direction de notre brigade qu'ils sont morts pour la France dans d'atroces souffrances, loin de leur Chère Bretagne.
Ce récit nous permet de connaître ce qui s'est passé à la brigade de Gendarmerie de Perros-Guirec pendant cette période troublée de notre histoire, nous savons de quelle façon l'adjudant Le Jeune et les gendarmes Hamon et Andrieux sont glorieusement morts pour la France, leur patrie.
Les renseignements nécessaires à l'élaboration de ce texte, nous ont été fourni en grande partie par Yves Le Corre, gendarme à la brigade de Perros-Guirec de 1942 à 1957 et actuellement retraité à Perros-Guirec, qu'il soit vivement remercié.
Nous souhaitons que le souvenir de ces valeureux gendarmes reste présent à la mémoire des militaires qui se succéderont à la brigade de Perros-Guirec, et qu'il soit régulièrement commémoré, comme il l'est actuellement chaque année au monument aux morts de Kernu en Louannec, commémoration concrétisée par la présence des gendarmes à la célébration du 11 Novembre.

Témoignage de Roger Guezou

Suite à la lecture du présent recueil Monsieur Roger Guezou, instituteur à Trélévern, a tenu à apporter son témoignage sur la période de la guerre.
Monsieur Guezou est le fils du gendarme Guezou, il a vécu la période des années 40 à la brigade de Perros-Guirec.

Les gendarmes de Perros-Guirec et la Résistance.
Les gendarmes de la brigade de Perros (sauf Andrieux qui était affilié à un réseau) menaient essentiellement une résistance passive contre l'occupant, ne communiquant jamais aux allemands ce qu'ils connaissaient concernant les "terroristes", c'est à dire les Résistants.
Mieux que quiconque à l'époque ils connaissaient chaque événement, chaque personne du canton. Vivant en symbiose avec la population ; se déplaçant à bicyclette, il pouvaient observer, parler et faire parler. Chaque gendarme était connu, inspirant confiance et généralement était aimé.
Lorsqu'ils recevaient l'ordre, presque journellement de rechercher un réfractaire, c'est à dire un jeune refusant de partir travailler en Allemagne pour le Service au Travail Obligatoire, ils ne trouvaient jamais personne. Et pour cause. Avant d'arriver à la ferme (population essentiellement rurale à l'époque) où se trouvait l'intéressé, ils le faisait avertir de leur arrivée. Et si par hasard, ils le voyaient, ils lui passaient "un savon", pour son imprudence.
Les allemands n'étaient pas dupes et étaient toute méfiance à l'égard de ces gendarmes si peu coopérants. Souvent ils survenaient en pleine nuit à la caserne, rassemblant tout le personnel et perquisitionnant sous les yeux angoissés des femmes et des enfants. Jamais cependant ils ne découvrirent rien de compromettant. Et pourtant, s'ils avaient su qu'au fond du puits à quelques pas étaient cachées des armes de guerre, que se serait-il passé ... ? On en frémit encore ...
Le gendarme Andrieux.
Je garde de ce gendarme encore jeune à l'époque, le souvenir qu'un adolescent de 14 ans peut conserver d'un camarade un peu plus âgé, mais si peu par le caractère et le goût de vivre, et auquel le liait une passion commune pour la pêche et ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui, une certaine forme de braconnage.
Il m'initia à la pêche au gardon, à la carpe, mais aussi aux coquillages. Il m'apprit aussi à tuer l'écureuil au lance pierres, arme d'une redoutable précision entre ses mains et que je suis sans doute l'un des seuls à l'avoir vu utiliser. Il aimait la nature, la connaissait particulièrement bien, n'ignorait aucun recoin de ce bois de Coat-Gourhant peuplé d'écureuils, près duquel hélas, il allait perdre la vie.
A la débâcle en 1940, il avait dû se rendre à l'ennemi, mais il se plaisait à répéter "jamais plus on ne me refera prisonnier". Il devait tenir parole.
Le 9 juin 1944, il se battit à la mitraillette, jusqu'à la dernière cartouche, leva les mains, puis se dirigea vers l'officier allemand, qui commandait l'opération et au dernier moment, sortit son pistolet, tira une balle, qui pénétra dans l'un des yeux de l'allemand. Dans les instants qui suivirent il reçut une grenade, qui lui explosa sur le crâne.
Quelques jours plus tard, en effet ont été rapportés à Madame Andrieux et je me souviens parfaitement de les avoir vus, une paire de lunettes à laquelle manquait un verre, et, émouvante relique, ce qu'il restait du béret basque ensanglanté, une sorte de couronne, toute la partie centrale ayant été emporté par l'explosion. Ce béret je le connaissait bien, c'était celui qu'il portait pour les parties de pêche et de chasse. Les lunettes à monture d'or étaient facilement identifiables elles aussi, car elles appartenaient à un officier que nous voyions passer régulièrement devant la caserne, conduisant un chariot russe tiré par deux poneys, et nous l'avions surnommé "lunette" ou "charrette", je ne saurais préciser. Je le vois encore aujourd'hui raide et hautain dans son uniforme vert. Il commandait le détachement de russes blancs cantonnés à la ferme de Kervoilan, cette ferme était alors située en pleine campagne, entouré de champs et non d'habitations comme c'est le cas aujourd'hui.


L'arrestation de l'adjudant Le Jeune et du gendarme Hamon.
Le 4 juin 1944, le gendarme Hamon, était seul de service au bureau lorsque les miliciens, traîtres revêtus de l'uniforme allemand investirent la caserne. Il fût immédiatement arrêté. L'adjudant Le Jeune était chez lui, faisant paisiblement sa toilette, en corps de chemise. Il dut suivre le milicien venu l'arrêter. A Madame Le Jeune, qui voulait lui tendre un lainage, pour ne pas qu'il prenne froid on fit cyniquement remarquer, "Ne vous inquiétez pas Madame, il n'en aura pas besoin" ...
On ne devait plus le revoir ...
Quelques temps après la libération, Marcel, fils de l'adjudant, membre d'un réseau de Résistance de la région de Morlaix présenta à sa mère, quelques photographies de traîtres recherchés pour être jugés. Quelle émotion dut la saisir lorsqu'elle reconnut l'un des visages : "Mais c'est celui-là qui a arrêté ton père !" s'exclama t'elle. Il s'agissait du sinistre Botros, tortionnaire, traître à son pays, qui fût jugé et fusillé.
Mme Le Jeune vit à Saint-Brieuc, auprès du plus jeune de ses enfants, François, Directeur de la mutuelle chirurgicale du département.
Au retour des rares rescapés du 4 juin, qui avaient été déportés au camp de Neuengamme, on apprit la mort des deux hommes. L'un avait été massacré par les chiens des SS, l'autre avait commis le crime de vouloir atténuer les douleurs d'une dysenterie en se protégeant l'abdomen par un lambeau de couverture, fut trempé dans l'eau glacée, sorti, retrempé ... jusqu'à ce que mort s'en suive.
Le 4 juin 1944.
La présence des allemands et des miliciens ne se traduisait pas à la caserne par aucun bruit, aucun tapage exceptionnel. Vers 10 heures ma mère me dit cependant "Ne reste pas là, les allemands ont arrêté Monsieur Le Jeune, Monsieur Hamon", et je suis alors parti chez des amis, fermiers à Park-Gogo, non loin du collège actuel. Mais à 14 ans on n'a guère conscience du danger et vers 14 heures, j'étais de retour et en passant par le couloir qui sépare les deux bureaux actuels, je vis, assis, face à la porte un homme en uniforme vert qui feuilletait des dossiers, il se contenta de lever les yeux à mon passage.
En fin de journée, on pouvait voir passer des uniformes gris, titubants, regagnant leur cantonnement de Kervoilan. C'étaient des soldats russes, ralliés aux nazis et que l'on craignait particulièrement, pour leur sauvagerie. Avant d'incendier le "Cheval Blanc", ils avaient pillé les caves. Il valait mieux ne pas se trouver sur leur passage, les rues étaient désertes, la terreur régnait.
Une plaque souvenir, le nom d'une rue, rappellent le souvenir de ces trois hommes. Mais est-ce suffisant pour entretenir leur mémoire et faire connaître aux nouvelles générations les raisons de leurs sacrifices ? ... c'est peu probable.
Ne serait-il pas possible, chaque année, le 4 juin , au cours d'une brève cérémonie, de rendre hommage à leur mémoire. Ils n'attendent rien de nous, mais n'oublions pas que nous leur devons une part de nos libertés.

Notes du Capitaine de gendarmerie Potin Yves.
En retraite 2, rue des Sept Îles à Louannec, au sujet de son frère Potin François, disparu après avoir participé aux événements tragiques dont il est question dans le récit ci-joint :
Durant cette période de guerre, je me trouvais en Corse, ignorant totalement ce qui se passait dans la région de Perros, ne recevant ni courrier, ni information de cette zone interdite. Etant moi-même Résistant à Bastia et les allemands ayant trouvé ma photo et mon adresse chez mes parents au Guillors, j'aurais pu avoir des ennuis l'île était également occupée par l'axe.
Ce n'est donc qu'à mon retour en Bretagne que bribe par bribe, j'ai pu reconstituer la conduite de mon frère dans la Résistance, grâce à ma sœur Marthe qui tenait la ferme du Guillors, avec mes parents (alors son mari Pierre Salaun était prisonnier) et qui a vécu la terrible journée du 9 juin 1944 et la triste fin du brave Andrieux.
Les allemands occupaient la ferme. Après l'avoir pillée et menacé de mettre le feu à la maison, ils firent sortir et aligner les membres de la famille en les menaçant de mort, pour venger l'officier allemand tué en même temps qu'Andrieux. Un autre officier survint et questionna la famille. Ma sœur Marthe fit face et lui dit que son mari était prisonnier en Allemagne. L'officier se calma et dit à ses hommes "On ne menace pas la femme d'un prisonnier". Il exigea de ma sœur qu'elle désigne l'homme qui l'avait menacée. Elle refusa sauvant ainsi ce responsable allemand.
Après l'affrontement auquel il avait participé, mon frère s'enfuit à Kermaria et il tint ainsi le maquis, de ferme en ferme ; du 9 juin au début juillet 1944, date de son arrestation dans une ferme de Quemperven. Les allemands le découvrirent, dans un grenier portant une barbe. Il fallait donc penser qu'il fut donné. La famille ignorait même où il était.
Il fut emmené à la kommandatur de Lannion ou, après un interrogatoire serré, il fut enfermé dans une des caves de la maison de Monsieur Tassel, 5 rue Pen-Ar-Stang pendant trois semaines, ou ma sœur Marthe put le voir quelques fois. Cette cave est restée telle qu'elle était à l'époque et j'ai pu la visiter dernièrement y relevant quelques signes et inscriptions (21 barres et son identité) ; Monsieur Tassel tient à la conserver ainsi et il reçoit volontiers les gens intéressés.
Les documents officiels déclarent mon frère interné, puis déporté à Dachau du 16 Août au 31 Octobre 1944 et disparu.
La transcription à la mairie de Louannec a eu lieu le 27 Mai 1947.

Nota
Il s'est avéré aussi qu'en juin 1944, des miliciens français (dont une femme de Louannec) se trouvait au Carbont bourg de Louannec. Or ils y ont opéré à leur guise, sont partis lors du débarquement et sont revenus après la libération sans ennui aucun.
Pour la partie en italique de ce dernier témoignage :
et les allemands ayant trouvé ma photo et mon adresse chez mes parents au Guillors, j'aurais pu avoir des ennuis l'île était également occupée par l'axe.
Il doit y avoir une erreur, car l'insurrection en Corse commença le 9 Septembre 1943, donc l'île n'était plus occupée par les allemands au moment des événements de Kernu, le 9 juin 1944.